Confidences d’avocat à Amiens : Me Diboundje : « Ces prévenus étaient sur une autre planète »

Chaque semaine, un avocat du barreau d’Amiens revient sur une affaire qu’il a plaidée et qui l’a particulièrement marqué. Deuxième numéro avec Maître Stéphane Diboundje, qui est intervenu dans le dossier tentaculaire de l’escroquerie à la taxe carbone.

Maître Stéphane Diboundje se souvient d’avoir vécu « une expérience exceptionnelle » en plaidant dans cette affaire d’escroquerie à la taxe carbone.
Maître Stéphane Diboundje se souvient d’avoir vécu « une expérience exceptionnelle » en plaidant dans cette affaire d’escroquerie à la taxe carbone.
Maître Stéphane Diboundje explique avoir passé beaucoup de temps sur ce dossier, qui demandait un certain niveau de technicité.
Maître Stéphane Diboundje explique avoir passé beaucoup de temps sur ce dossier, qui demandait un certain niveau de technicité.
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Par Nasséra Lounassi Publié:11 Août 2024 à 06h21 :

Lorsqu’il est saisi de cette affaire d’escroquerie à la taxe carbone, Maître Stéphane Diboundje saisit rapidement son caractère exceptionnel. De par le préjudice extrêmement conséquent subi par la partie civile d’abord, mais aussi en raison de la personnalité des prévenus et la présence d’avocats de renom.

Nous l’avons rencontré à son bureau mardi 23 juillet 2024.

Maître Stéphane Diboundje, parlez-nous de l’affaire retenue…

L’affaire de l’escroquerie à la taxe carbone était particulière puisque le préjudice pour l’État français s’élevait à 1,6 milliard d’euros et qu’elle comportait de nombreux volets. Elle n’est d’ailleurs pas totalement terminée. Pour limiter l’émission des gaz à effet de serre, l’État a créé un grand marché des quotas carbone avec la possibilité pour les entreprises polluant le moins de revendre leurs quotas aux plus polluantes. L’État a institué une TVA là-dessus. Des petits malins se sont aperçus qu’en achetant des quotas à l’étranger et en les revendant sur le circuit français, il suffisait de mettre en place des sociétés écrans et de faire croire que la TVA avait déjà été acquittée à l’étranger pour ne pas la reverser en France. L’État avançait un crédit de TVA aux entreprises, qu’elles devaient rembourser à la fin de l’année. Ces dernières prenaient le crédit et disparaissaient. Ce système a été reproduit dans toute l’Europe.Comment en avez-vous été saisi ?

Je n’étais pas destiné à plaider cette affaire. Un confrère, à Compiègne, a été saisi par l’un des gérants de paille – ceux à qui on demandait d’être à la tête des entreprises – dans l’un des volets. Ce copain de promotion n’avait pas mesuré l’ampleur de l’affaire et m’a demandé si je voulais m’en occuper. On est en 2017. Lorsque j’ai consulté l’ordonnance de renvoi, j’ai découvert les noms de certains avocats (Thierry Herzog, Hervé Temime…). J’ai compris alors que c’était une grosse affaire. Car même si elle était un peu médiatisée à l’époque, je n’en avais pas eu vent. Je m’y suis intéressé et ai découvert qu’elle était hyper complexe, demandant un certain niveau de technicité. J’ai proposé à Maître Pascal Bibard [également avocat à Amiens, ndlr] de travailler avec moi car je savais qu’elle allait durer. J’ai plaidé dans deux ou trois volets.

Un des types avait une caution de 40 millions d’euros à payer. Il en a payé 38, mais a refusé de verser les deux derniers millions. Il a demandé à la juge si elle pouvait lui faire une fleur

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette affaire ?

Elle a défrayé la chronique. Si bien qu’elle a été adaptée au cinéma : Olivier Marchal a réalisé le film Carbone. Il y a eu aussi la série D’argent et de sang, qui s’inspire du livre écrit par Fabrice Arfi, journaliste chez Médiapart. Sans oublier un documentaire sur Netflix, intitulé Les rois de l’arnaque. Il y a aussi le préjudice pour l’État qui, comme je vous le disais avant, s’élevait à 1,6 milliard d’euros. C’est très rare de plaider des affaires où le préjudice pour la victime est de ce montant-là. Il nous est déjà arrivé d’avoir des affaires à plusieurs milliers ou millions d’euros. Mais là, c’était exceptionnel. Et il y avait tous ces prévenus, on était dans un autre monde.

Qu’entendez-vous ?

On avait plusieurs catégories de prévenus : les cerveaux ayant créé le système en pensant à la faille, ceux qui ont apporté la logistique, ceux chargés de la protection, à savoir le grand banditisme, et ceux qui ont blanchi. Les premiers étaient des personnages hauts en couleur, fantasques, excentriques, qui ne doutaient de rien, avaient un bagou énorme. Ils étaient très intelligents et avaient fait preuve d’une telle audace. Mais ils étaient aussi sur une autre planète, à des années-lumière de notre quotidien. Ils avaient le sentiment de n’avoir rien fait de mal par rapport à un crime de sang et que c’était la faute de l’État, qui leur avait donné l’argent. Pour vous donner un exemple, l’un des types, en détention provisoire, avait une caution de 40 millions d’euros à payer. Il en a payé 38, mais a refusé de verser les deux derniers millions. Il a demandé à la juge si elle pouvait lui faire une fleur.

Depuis cette affaire, j’ai beaucoup de personnes qui me demandent de les défendre pour des affaires d’escroquerie. C’est une carte de visite en quelque sorte

Vous avez évoqué précédemment des avocats très connus. Quelles relations entreteniez-vous avec eux ?

Cette affaire est exceptionnelle aussi car on était confronté au gratin des avocats de France. Les personnes poursuivies avaient les moyens de s’offrir les services de ceux qu’elles souhaitaient. Il faut dire qu’elles risquaient gros en termes de condamnation sur le plan de la prison mais aussi sur le plan des dommages et intérêts à payer à l’État français. On était entre 60 et 100 à plaider si l’on prend l’ensemble des volets. Les avocats arrivaient de toute la France : Marseille, Toulouse, Amiens, Paris… J’ai passé, pour ma part, six semaines avec eux. Tout cela crée forcément quelque chose, de l’émulation. Il y avait d’un côté les avocats d’affaire et de l’autre, les pénalistes. J’assistais d’ailleurs quasiment à toutes les plaidoiries.

Pour quelle raison ?

J’avais conscience que j’allais beaucoup apprendre de ces avocats-là. Je prenais en note les plaidoiries car je tenais un petit blog à l’époque. C’était une formation en accéléré. J’ai vu comment ils faisaient, comment ils abordaient les points délicats. Il y a des petites choses que j’ai d’ailleurs récupérées.

Quel impact ce dossier a-t-il eu sur une carrière ?

Depuis cette affaire, j’ai beaucoup de personnes qui me demandent de les défendre pour des affaires d’escroquerie. C’est une carte de visite en quelque sorte.

source courrier picard: https://www.courrier-picard.fr/id550002/article/2024-08-11/confidences-davocat-amiens-me-diboundje-ces-prevenus-etaient-sur-une-autre