Vendredi, deux jeunes jugés à Amiens après les émeutes de début de semaine ont été condamnés à huit et dix mois de prison avec sursis.
Ce vendredi après-midi au palais de justice d’Amiens, on s’attendait à voir des caïds de cité, des mecs énervés prêts à en découdre avec le reste du monde; on est tombé sur Shrek et deux jeunes dépassés par les événements.
Shrek, c’est Cédric, accusé d’avoir appelé des jeunes à la violence dimanche soir. Il est poursuivi pour «provocation directe à l’attroupement armé». A 27 ans, il a déjà un casier judiciaire long comme un jour d’été : neuf condamnations. Son surnom, Shrek, ce sont ses copains des quartiers nord d’Amiens qui le lui ont trouvé, même s’il ressemble plus à un échalas maladroit sorti d’un film des frères Coen.
ll débarque à 14h30 et quitte la salle dix minutes plus tard. Il restera derrière les barreaux jusqu’à son retour devant la justice le 12 septembre prochain. Pas le temps de gamberger que Wilfrid et Christopher s’installent dans le box, menottes au poignets. Ces deux-là sont accusés de «détérioration ou dégradation du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes.» En gros, ils ont brulés des poubelles le soir du 13 août avant de se faire serrer deux jours plus tard en flagrant délit de récidive. Le regard de Christopher guette les alentours, fébrile. Malgré la chaleur il garde sa petite veste. A sa droite, le tee-shirt rouge de Wilfrid, 25 ans, semble déjà trempé de sueur et de stress.
Christopher, 20 ans, ne s’est pas attardé dans les établissements scolaires, il ne sait ni lire ni écrire. Face à la juge ses larmes coulent très vite. Il «ne savait pas même pas» qu’il y avait des émeutes dans les quartiers nord d’Amiens le soir du 13 août : «On se promenait et on a eu l’idée de mettre le feu.» Avant de se reprendre: «En fait moi j’ai fait le guet, et c’est Wilfrid qui a mis le feu. Il était triste parce que sa copine venait de le quitter mais moi je lui avait dit que c’était pas une fille pour lui.» Wilfrid pleure, lui aussi. «Je suis tout le temps énervé, ce n’est pas bien du tout ce que j’ai fait.» La présidente lui demande à quelle heure il a déclenché l’incendie, Wilfrid répond à mi-voix : «Je ne sais pas parce que je ne sais pas lire l’heure mais après j’ai regardé sur mon portable et il était 22H00 car je sais lire les chiffres. Et je sais compter jusqu’à 30.»
Avant le délibéré, Christopher lâche une dernière phrase : «Je ne veux pas aller en prison.» La sentence tombe, alors que le procureur avait requis douze mois de prison dont six ferme, la juge condamne Christopher et Wilfrid à huit et dix mois de sursis. Les avocats sont «satisfaits». Christopher sort du tribunal soulagé: «Moi j’ai rien fait c’est Wilfrid qui a mis le feu. Là je rentre chez moi et je ne sors plus, toute la nuit d’hier j’ai prié. J’avais peur d’aller en prison.» Les yeux cernés, les paupières qui tremblent, Christopher conclut : «Je ne sais ni lire ni écrire mais j’ai pris une bonne leçon.» Avant de rejoindre les quartiers Nord d’Amiens. Seul.
Par RACHID LAÏRECHE Envoyé spécial à Amiens