justice
Plainte à Amiens pour une «fin de vie forcée»
« Erreur de diagnostic »
Anna Saguez, veuve depuis 1965, vivait seule dans sa maison de Villers-Bocage. Elle était aidée par une femme de ménage, et une infirmière qui lui rendait régulièrement visite. En décembre 2014, la vieille dame se plaint de violents maux de ventre. Elle est dirigée vers la clinique où elle restera trois jours. Le médecin lui diagnostique un « sigmoïdite diverticulaire pseudo tumoral », mais, selon les plaignantes, il ne « réalise pas d’examen approfondi ». Le 24 décembre, un nouveau bilan est effectué par le médecin, en présence des filles de la patiente. Ces dernières disent qu’elles l’ont alerté sur des résultats d’une analyse de sang « avec des marqueurs irréguliers correspondant aux ovaires ». Elles pensent à un cancer. Le praticien serait resté selon elles sur ses premières conclusions.
Le dimanche 25 janvier 2015, la vieille dame souffre à nouveau du ventre, elle est une nouvelle fois hospitalisée à la clinique Pauchet. Des examens révèlent, selon les plaignantes, « une masse d’allure ovarienne avec des signes de carcinome et hydronéphrase gauche ». Le premier diagnostic est dès lors écarté, et le médecin conclut à un cancer du côlon. Deux jours plus tard, la nonagénaire va mal. « Elle est vaguement consciente, ne parle plus, et sombre dans un sommeil comateux ». Ses filles estiment que la patiente a été mise sous sédation passive, qu’un produit lui a été administré, et que le médecin aurait décidé la pratique de la fin de vie sans leur accord.
Anna Saguez doit quitter la clinique le 2 février pour une hospitalisation à domicile. Finalement, ce jour-là, elle est évacuée à l’hôpital nord d’Amiens suite à l’intervention de ses filles et de son médecin traitant. Deux jours plus tard, un médecin annonce le résultat des examens aux sœurs Saguez : leur maman souffre d’un cancer des ovaires, et non du côlon. Une déshydratation, une hypoglycémie et une anorexie sont notamment constatées. La vieille dame décède deux jours plus tard.
Mmes Saguez disent avoir été choquées par les propos du praticien de la clinique Pauchet : « Vous avez bien vécu, il faut savoir partir » ; « Le jour où ça sera la fin, je serai là pour vous aider à partir. » Estimant avoir été « prises de haut » après avoir demandé des explications au médecin lors d’une médiation, elles déposent une première plainte auprès du procureur, laquelle est classée. « Nous ne nous satisfaisons pas des réponses apportées par le médecin dans le cadre de cette enquête. Comme a-t-il pu dire que les enfants étaient d’accord pour cette fin de vie et qu’ils ont signé des papiers pour cela ? Comment se fait-il que dans un deuxième service, on constate que les soins n’ont pas été faits ? », commente Me Stéphane Diboundje, avocat des sœurs. Une nouvelle enquête doit être ouverte.
GAUTIER LECARDONNEL
La procédure de fin de vie est encadrée par la loi Leonetti d’avril 2005, puis celle de 2016, qui en fixe les règles. La sédation peut être demandée par le patient dont le pronostic vital est engagé à court terme et dont la souffrance est insupportable. « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un de ses proches aient été consultés », dit la loi. La décision de la sédation peut également être prise par le médecin si le patient ne peut pas s’exprimer, s’il ne s’y est jamais opposé par le passé ou s’il ne pas fait part de ses vœux à ses proches.
Reste que la décision doit toujours être prise collégialement. Cette dernière doit être motivée et figurer dans le dossier médical du patient. Pour Philippe Loheac, directeur général de l’association pour le droit à mourir dans la dignité, « cette loi est suffisamment floue dans sa rédaction qu’on ne sait pas, au final, qui doit prendre la décision » de la sédation, explique-t-il. Selon lui, « ce domaine étant extrêmement technique », et la loi comportant de trop nombreux termes subjectifs, « finalement, le médecin reste omnipotent en la matière ».