C’est la fin de 18 mois d’enquête. D’un énorme travail d’investigations. Après les émeutes d’Amiens nord d’août 2012, le juge d’instruction Karim Sekkaki vient de rendre ses ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel. Sans surprise, elles sont conformes aux réquisitions du procureur de la République. Au total, quinze personnes sont renvoyées en justice, dans deux procédures distinctes : l’une pour les tirs sur policiers, l’autre pour les violences urbaines, et les incendies de bâtiments publics notamment. Deux suspects sont poursuivis dans les deux volets de l’affaire.
Des enquêtes, il ressort que ces émeutes n’avaient rien de spontané. « Emeutes à Amiens, amenez l’artillerie ». C’est le message qui a circulé sur Facebook dès le 12 août. Heures, lieux de rassemblement, tout était prévu, a raconté un jeune d’Amiens nord aux enquêteurs. Un gradé de la police explique, dans la procédure, que les forces de l’ordre ont fait face cette nuit-là à « une organisation évidente, quasi-militaire ». Ce qui lui fait dire cela ? La préparation tout d’abord, avec l’éclairage public coupé, les cocktails molotov déjà prêts, etc. Il y a aussi le fait que deux groupes ont agi de concert : l’un sur le secteur Balzac-Fafet, qui occupait la police, l’autre du côté de l’Atrium et Mozart, qui a saccagé le bureau de police et brûlé des poubelles.
Reconnu à la télévision
Les vidéos effectuées par hélicoptère attestent de cette organisation de la part des émeutiers. Mais elles n ‘ont pas permis de les identifier. Les policiers ayant pour objectif premier de calmer la situation, aucune interpellation n’avait eu lieu en flagrant délit. Et c’est à une enquête difficile qu’ils ont dû faire face ensuite.
Le recours aux exploitations de l’ADN a montré ses limites dans cette affaire. Celui d’un enseignant qui n’avait jamais mis les pieds à Amiens a été retrouvé sur des linges protégeant un fusil ayant servi aux tirs sur les policiers. Il a été mis hors de cause. L’ADN d’un jeune homme avait également été découvert sur une cartouche trouvée au sol. Cela n’a pas suffi à prouver sa participation aux faits.
Pour identifier les émeutiers, les policiers ont pu compter sur des témoignages anonymes tout comme les nombreuses écoutes téléphoniques. Ils n’ont certes rien prouvé, mais cela leur a permis d’orienter les investigations, de vérifier, recouper. Au final, un des éléments clé aura été l’achat des mortiers et autres équipements de paintball, dans des commerces amiénois, la veille des émeutes. Les policiers ont pu rapidement se rendre compte qu’un homme de 28 ans a procédé à des achats. Et cette identification sera cruciale puisque ce suspect avouera avoir eu deux fusils ayant servi aux tirs en sa possession, juste après les faits. Ce sont deux autres Amiénois qui les lui ont apporté pour les cacher. L’une d’elles sera retrouvée, enterrée.
Tous les moyens d’investigations ont été bons pour les policiers dans cette affaire. Même les images des reportages télévisés. Un jeune homme, au visage dissimulé qui a ainsi expliqué à nos confrères de France 3 Picardie pourquoi il avait participé aux émeutes, a ainsi été identifié. Sa voix a été reconnue, et les vêtements qu’il portait devant la caméras ont été retrouvés chez lui lors des perquisitions.
Au final, les tireurs ne seront pas identifiés. Mais des complices présumés seront jugés. Et sur la centaine d’émeutiers, onze personnes auront à s’expliquer. Donc cinq incendiaires présumés qui devront dire pourquoi ils ont notamment mis le feu à une école.
GAUTIER LECARDONNEL
La volonté des autorités «de taper fort»
Face à l’impact politico-médiatique des émeutes, les autorités ont «eu la volonté de taper fort», commente Me Stéphane Diboundje, l’avocat d’un Amiénois qui a bénéficié de non-lieux. Trop fort, même à ses yeux. Conséquences : comme d’autres confrères, il regrette que des personnes aient été placées en détention pendant plusieurs mois, pour qu’au final aucune charge ne soit retenue contre elles. «L’enquête a été faite sérieusement, mais trop de personnes ont été mises en cause par des témoignages anonymes, témoins qui n’ont d’ailleurs pas confirmé leurs déclarations».
Source Le Courrier Picard