Marine Babonneau
Le barreau d’Amiens perd contre l’expert d’assuré
Résumé :
Le tribunal correctionnel d’Amiens a estimé la semaine dernière qu’un jeune homme de 34 ans, expert d’assuré, n’avait pas pratiqué illégalement l’exercice d’avocat, contrairement à ce que soutenait l’Ordre d’Amiens. Celui-ci pourrait bien faire appel.
C’est le Courrier Picard qui révélait l’affaire le 9 juin dernier. Un « homme brillant, bardé de diplômes » assistant « des particuliers face à leur compagnie d’assurance » n’a pas plu au barreau d’Amiens qui a déposé, en mars 2012, un dépôt de plainte contre lui. Selon les termes de l’enquête menée par la PJ d’Amiens, le bâtonnier de l’époque, Philippe Pourchez estimait qu’« en se fondant sur l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971, l’exercice d’activité juridique à titre principal est réservé aux professions réglementées (…). Or, à la lecture de la plaquette et de la consultation de son site internet, M. X ne se borne pas à dispenser des informations juridiques mais il apprécie leur situation, établit un diagnostic, négocie avec les assureurs et oriente même vers un avocat choisi par lui, prestations qui vont au-delà du conseil juridique ».
Le jeune homme, diplômé d’un DEA de droit, s’était déclaré auprès de l’Urssaf en profession libérale sous le libellé « juriste négociateur ». Il dispensait des cours dans certaines universités, était président de formation de jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité d’Amiens et membre de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI). Conclusion de l’enquête : « Cette qualité d’expert en assurances qu’il se donne semble éloignée de la définition même de l’expert car il n’a, semble-t-il, acquis aucune grande habilité ou savoir faire ou encore longue expérience dans une activité professionnelle. Ses prestations vont bien au-delà du conseil juridique ». Bref, l’affaire semblait pliée.
Principal et accessoire :
Sauf que le tribunal correctionnel n’en a pas décidé ainsi. Les juges se sont basés sur les règles régissant les agréments concernant les experts en assurance : être détenteur d’un diplôme de droit ou justifier de 10 ans d’expérience professionnelle et avoir suivi, sous la responsabilité de l’organisme professionnel dont ils sont membres, un cycle de formation juridique comportant 250 heures d’enseignement, soit justifier de 7 ans d’expérience professionnelle. Dans cette affaire, le tribunal a estimé que le jeune homme avait suffisamment de diplômes lui donnant droit d’exercer comme expert en assurances. Et puis, en quoi consistait exactement son travail ? Selon les juges, il devait effectuer des démarches pour adjoindre à l’assuré un médecin recours et devait chiffrer l’indemnisation correspondant au préjudice corporel de l’assuré et… négocier, après une expertise amiable, l’indemnisation auprès de la compagnie d’assurance. Une activité principalement dédiée au chiffrage et la négociation de montants.
Alors, oui, il fallait utiliser « pour partie » quelques « connaissances et des raisonnements juridiques », et même « des arguments juridiques sur les droits des assurés ». Mais, relativise le tribunal, ces connaissances juridiques sont exigées par le pouvoir réglementaire. Et même si parfois, certaines tâches ont le caractère de consultations juridiques, dans cette affaire, elles n’étaient pas suffisamment fréquentes. Par ailleurs, le jeune homme faisait appel à un avocat en cas de contestation de l’indemnisation ou de la responsabilité. Bref, le caractère éventuellement juridique des consultations n’était qu’accessoire. Stéphane Diboundje, avocat de l’expert d’assuré, au côté de Me Michaël Haddad s’est dit satisfait de la décision du tribunal correctionnel. Reste à savoir si l’Ordre d’Amiens fera appel ou pas de sa décision. Interrogé, l’avocat du barreau, Pierre Van Maris, n’avait pas encore pris sa décision. Il s’interroge toujours : « Qu’est-ce donc un expert d’assuré ? Ca n’existe pas ! ». L’opportunité d’un appel dans ce dossier pourrait être évoquée aujourd’hui lors la réunion du conseil de l’Ordre.